Ponts d'ici et d'ailleurs

Publié le par Drinkel

grossstadt bosporus 1La ville entretient un rapport privilégié avec le cinéma qui n’a cessé depuis les frères Lumières de scruter la réalité urbaine sous ses multiples aspects. Il n’y a pas d’objet qui soit mieux documenté que la ville, tout au moins pour la période contemporaine. L’Histoire du cinéma est celle des villes dans une grande proportion. La ville, c’est le profilmique par excellence, indépendamment de la valeur artistique des films. Même un mauvais film garde la trace de la réalité urbaine captée par la caméra. Et grâce aux films nous pouvons suivre l’évolution des cités et leurs métamorphoses, retrouver le vieux Paris avec les Halles et les folies Bergères, se promener dans Alexanderplatz du temps de Weimar ou voir les ruines de Berlin dans Allemagne année zéro. Alexplatz1Il y a des villes et des lieux qui nous sont devenus familiers, même si on n’y a jamais mis les pieds. Qui ne connaît la Place Saint-Marc ou  la fontaine de Trévi où s’est baignée Anita Ekberg ? Et la Sagrada Familia à Barcelone où le dragueur Jack Nicolson a tenté de séduire Maria Schneider ? Et Brooklyn, et le vieux Caire ? Et Tanger, et Marrakech ? Si vous allez au cinéma vous avez au moins une fois dans votre vie transité par l’aéroport John Kennedy de New –York, pris le métro à Saint-Michel, dîné à la Place Jamâa El Fna  (pour les plus chanceux), et peut-être effectué une virée avec Hitchkock sur la côte d’Azur.Sagradafamilia-overview Et vous pouvez aller dans tous ces endroits à la fois grâce au pouvoir d’ubiquité de l’image cinématographique et passer de la frontière mexicaine au Haut-Atlas tout en admirant le paysage urbain d’une tour à Tokyo. Pour ma part cette semaine j’ai été  à Montréal, Buenos aires, Istanbul et Bucarest entre autres, grâce  au festival de films de femmes de Salé dont j’ai commencé à reconstituer le puzzle dans mon précédent article.roma HA Vermischtes 498264c

Avec Des hommes sur le pont, film turc (2009) de la jeune réalisatrice Asli özge , c’est une incursion dans le quotidien d’une grande métropole où se côtoient l’Orient et l’Occident, l’Europe et l’Asie. Et c’est dans le between, sur le pont qui enjambe le Bosphore avec un trafic incessant de véhicules qu’évoluent les principaux personnages. Initialement la réalisatrice voulait faire un documentaire sur les personnes qui vivent sur le pont pour des raisons professionnelles et de survie : vendeurs de fleurs ambulants, chauffeurs de taxi et agents de police qui règlent la circulation dans ce secteur névralgique du grand Istanbul. N’ayant pu obtenir une autorisation pour filmer ces derniers elle se décida pour une fiction en choisissant trois personnages représentatifs de ces trois catégories, dont le frère d’un policier qui était heureux de camper son rôle parce qu’il a toujours rêvé porter l’uniforme. Le film est un témoignage sociologique sur la difficulté de vivre dans les grandes villes du Sud où les difficultés de trouver un emploi et un logement conditionnent tout le reste. Les participants au débat que j’ai eu le plaisir de diriger en présence de la réalisatrice ont confirmé ce constat en partant de leur propre expérience dans les grandes villes marocaines.3 D’aucuns ont évoqué la similitude des problèmes à Istanbul et Casablanca, notamment dans les ménages fragilisés par les difficultés économiques. Le personnage du chauffeur de taxi collectif ne peut offrir le standing dont rêve sa jeune épouse mariée sans vrai amour, mais seulement pour avoir une vie meilleure. Et puis il y a la soif sexuelle des jeunes qui les pousse à chatter inlassablement dans l’espoir de tomber sur la perle rare. Les mêmes rendez-vous embarrassés sur les terrasses avec les mêmes déceptions. C’est que l’amour ne se commande ni s’achète comme un vulgaire produit sur l’étalage des grandes surfaces.  Et puis il y a l’enfer du trafic urbain, les marginaux qui se faufilent entre les véhicules pour vendre des fleurs (fleurs), où des kleenex ailleurs, c’est selon…La réalisatrice jette un regard sans complaisance sur la Turquie d’aujourd’hui  et critique de manière subtile la propagande officielle qui cherche à exalter le patriotisme pour camoufler les problèmes sociaux. Elle utilise l’anti phrase pour démystifier l’idéologie nationaliste, comme ces défilés militaires certainement filmés en life où ces  propos virulents des petites gens qui s’identifient à l’Etat tout puissant et profèrent des insultes à l’égard minorités ethniques. menonthebridge1Le problème kurde est présent dans le film par le biais des commentaires que prononce le policier Murat au sujet de l’attentat qui eût lieu au moment du tournage comme nous l’a expliquée la réalisatrice. Istanbul est filmée avec de beaux panoramiques sur les rives du Bosphore et des plans serrés quand la narration l’exige. Ce film qui est un document sociologique, une sorte de docu fiction est aussi une invite au voyage. Des hommes sur le pont a été primé au festival de Toronto 2009 (meilleur scénario), et a obtenu le prix d’interprétation masculine à Salé.

 

Publié dans festivals

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