Puzzle à Buenos-Aires

Publié le par Drinkel

La notion de puzzle est stimulante pour la pensée. Elle s’ouvre sur des promesses de complétude à partir de l’épars et de l’individuel. Comme les notions de  labyrinthe et de pli, cette notion nous aide à déchiffrer le réel dans ses ramifications insoupçonnées, donner sens au détail en l’insérant dans l’ensemble dont il fait partie et qui lui donne sens.

Au cinéma cette notion a donné lieu à un genre que les films studies ont théorisé (cf. Warren Buckland, Puzzle films : complex Storytelling in contemporary cinema, Oxford Brooks University (2009). Pour faire vite, il s’agit d’une écriture qui impose de voir la suite pour comprendre le début car la structure d’ensemble du film est basée sur une narration fracturée avec des métaphores visuelles et un effet émotionnel à double signification. Warren Buckland s’est appuyé en particulier sur l’analyse des films de David Lynch (Mulholland Drive, Lost Highway) pour théoriser ce type de narration cinématographique distinct de ce qu’on entend habituellement par « scénario complexe ».

Mais ce n’est pas vraiment l’objet de cet article. Je vous parle de Puzzle  parce que je viens de voir le film argentin de Natalia Smirnoff qui porte le même titre. Le film a été présenté dans différents festivals internationaux (Cannes, Berlin) et a été primé au festival de films de femmes de Salé lors de la quatrième édition qui vient de se terminer (Prix du meilleur Scénario). Pour moi ce fut la véritable rencontre cinématographique du festival même si par ailleurs la programmation dans son ensemble a été d’un très haut niveau. J’ai retrouvé dans  Puzzle cette intelligence du cœur et le goût sûr de maîtres argentins. Penser à Borgès, Cortazar, Bioy Casarès, Ernesto Sabato et au tango bien évidemment (Gardel, Piazzola..).  Natalia Smirnoff fait partie de la jeune génération de cinéastes argentins qui s’est nourrie de sources multiples, elle-même pur produit du syncrétisme culturel parce qu’elle est par ses origines russe, italienne espagnole et argentine. Comme ses illustres prédécesseurs, cette jeune cinéaste de trente huit ans fait preuve d’inventivité et de savoir faire et parvient, grâce à un style épuré et une direction d’acteurs rigoureuse, à nous catapulter durant une heure et demi dans un univers enchanteur où l’émotion et l’humour sont présents de bout en bout. Et on en apprend des choses dans ce film. D’abord sur le jeu lui-même, où il s’agit de rassembler les éléments constitutifs d’une figure, paysage, portrait…Ce que je ne savais pas, c’est qu’il existe des magasins spécialisés, des  tournois, régionaux et mondiaux avec certainement des fédérations, des règlements et tout le cirque…Et que les trophées sont remportées par ceux qui agencent le plus de pièces dans le minimum de temps…

Le film raconte l’Histoire de Maria, femme d’âge moyen, épouse modèle dévouée à sa famille, un mari juste assez macho, trop bien nourri et qui ronfle la nuit, un fils végétarien et un autre préoccupé par sa carrière, une ferme à vendre pour assurer l’avenir des garçons…Et puis survient l’inattendu. Voulant acheter un autre Puzzle après avoir pris plaisir à reconstituer celui qu’on lui a offert lors de son anniversaire, Maria tombe sur cette annonce qui va bouleverser son univers : homme cherche partenaire pour un tournoi de puzzle. La fiction embraye à partir du moment où Maria arrive chez cet inconnu dans cette demeure aristocratique où tout est réuni pour la séduire : passion du jeu, beauté du lieu, charme discret de Robert le maître des lieux. Il remarque tout de suite les aptitudes au jeu da la nouvelle recrue même si la méthode est inhabituelle et très personnelle. Maria se concentre et fait mine de ne pas prêter attention à son hôte. Mais bientôt les mains s’effleurent et la complicité s’installe…Robert propose à Maria de participer aux éliminatoires qui doivent les mener s’ils gagnent à participer à la finale en Allemagne. Maria accepte tout en sachant d’emblée qu’elle en pourra jamais quitter son mari et sa famille…Et c’est ce balancement entre Désir et Raison qui est le vrai sujet du film. Le dilemme est terrible pour Maria Del Carmen à qui s’offre rien moins qu’une nouvelle possibilité de vie, sa passion pour le jeu et un amour inattendu…

             La pièce maîtresse de ce puzzle qu’est le film est l’actrice Maria Onetto. Rarement  rôle aura été porté avec autant de vérité. Elle est crédible dans toutes les postures et en impose par sa retenue et l’intelligence de ses gestes, de son regard. Les mots sonnent juste quand elle les prononce. Sobriété, économie de style. Et c’est bien la magie du cinéma de nous faire partager l’intimité d’un être qui, dans l’intervalle d’une heure et demi nous charme et nous émeut.

           

 

Publié dans festivals

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