Quand le cinéma devient musique...A propos de Tous les matins du monde

Publié le par Drinkel

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Cela fait un moment que je n’ai rien écrit dans mon blog cinéma.  Pour rallumer la flamme de la cinéphilie quelque peu vacillante ces derniers temps, je me suis offert cette semaine un mini festival DVD à domicile (la cinémathèque du pauvre, une aubaine  dans un pays du sud où les salles ont fermé depuis belle lurette) avec les titres suivants :   Tous les matins du monde d’Alain Corneau, Il était une fois en Anatolie  du réalisateur  turc Nuri Blige Ceylan, Eaux profondes de Michel Deville et enfin Passion de J.L.Godard.

    Le beau titre du film de Corneau est emprunté on le sait au roman de Pascal Quignard publié en 1991qui porte le même titre. Le film s’inspire de l’histoire véridique de deux musiciens du XVIIème siècle, M. de Sainte Colomb et son élève Marin Marais musicien de cour, sorte de Salieri ayant pris conscience de ses limites et définitivement convaincu du pouvoir insurpassable de son maître. Celui-ci, virtuose du viole de Gambe et compositeur de génie s’est totalement réfugié dans la musique depuis la mort de sa femme pour qui, il voue un amour sans limite et dont il ne se consolera jamais de la perte, malgré les deux filles qu’elle lui a laissées et qu’il initiera à son art dans le plus parfait isolement. Il composa à sa mémoire Le tombeau des regrets dont il accepta de jouer la pièce intitulée les Pleurs avec Marin Marais revenu de ses illusions de jouer pour la gloire et les honneurs, et qui est venu frapper à la cabane de  son maître pour lui demander le sens et le secret de la musique. «  La musique lui dira ce dernier, est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler…Je vais vous confier un ou deux arias capables de réveiller les morts ».

             La réputation de M. Sainte Colombe de maître du viole parvint au Roi qui fit dépêcher des émissaires pour le faire venir jouer à la cour mais l’artiste refusa. Je préfère mes poules aux violons du Roi…Votre palais est plus petit qu’une cabane, votre public moins qu’une personne dira-t-il à l’envoyé de Louis XIV…Je suis si sauvage, Monsieur, que je pense que je n’appartiens qu’à moi –même ».

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            Il vivait  entièrement pour sa musique et le souvenir de sa femme. Un amour que rien ne diminuait, toutes les nuits étaient la même nuit, tous les froids étaient le même froid dit la voix off qui n’est autre que celle de Marin Marais (interprété par Depardieu père et fils). Et à ce propos ce film est un chef d’œuvre d’interprétation avec un Jean-Pierre Marielle bouleversant d’humanité et de vérité dans le rôle d’un homme atteint au plus profond de son être et que seul sont art aide à survivre à l’être cher. Et quand il parvient à tirer un son d’une infinie tendresse à son instrument à qui il ajouta une huitième corde pour le rendre plus mélancolique, on ne sait si les larmes qui perlent dans ses yeux sont l’effet de ce Tombeau des regrets qui nous bouleverse nous autres spectateurs, ou une simulation parfaite de l’émotion par un grand artiste.

              Les films qui ont pour sujet la musique sont les plus difficiles qui soient. Car la musique  elle-même est un langage à part entière et ne souffre aucune redondance. Alain Corneau en virtuose de l’image a réussi à recréer le cadre historique et humain avec des décors et des espaces d’époque, des mouvements de caméra discrets, un usage du gros plan qui renforce chaque fois l’émotion suscitée par la musique qui est elle-même émotion pure, avec des morceaux d’anthologie comme la  Troisième leçon de ténèbres de Couperin, la  Marche pour la cérémonie des Turcs de Lully et bien sûr Les tombeaux Les Regrets de Sainte Colombe…(A suivre).

 

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