Profession Reporter.

Publié le par Drinkel

imagesEn cette période de « vacance », c’est-à-dire de disponibilité et de liberté qui ne veut pas dire désœuvrement, bien au contraire, il n’ y a rien de mieux pour un cinéphile que de se refaire une mémoire et retrouver des émotions et des plaisirs en revoyant quelques joyaux du septième art. Autrefois quand j’avais la force et les moyens je partais l’été pour Paris, comme les touristes japonais, mais pas pour voir la tour Eiffel (je l’avais déjà visitée lors de mon premier séjour parisien en Janvier 74…). Non j’allais surtout dans les petites salles du quartier latin, et quelquefois à la cinémathèque de Chaillot pour combler mes lacunes de cinéphile du tiers-monde…Quelquefois je prenais le train et me perdais en route au retour entre Bayonne et Biarritz avant de rencontrer « Le rayon vert » (Rhomer). Ou bien je m’arrêtais à la filmoteca de Madrid pour voir Hasta el fin del mundo (Wenders). Ou bien je bifurquais par Sète pour visiter le tombeau de Brassens et me cachait jusqu’au soir dans une salle de cinéma en regardant  Mastorianni dans la Cité des femmes (Fellini). Je faisais la traversée dans l’Agadir (l’ancêtre du Marrakech) en 36 heures avec plein d’images dans la tête et quelquefois d’heureuses rencontres. Cela s’appelle avoir vingt ans et ça passe vite.

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Aujourd’hui je peux revoir des films cultes sans partir très loin. Les DVD sont les classiques de poche des cinéphiles, et de toute façon c’est devenu plus compliqué de partir avec toutes ces histoires de visa, d’illuminés qui tirent sur tout ce qui bouge, de tsunami et de volcans qui se réveillent, de microbes dans les concombres, de délit de faciès et d’hystérie xénophobe, de chercheurs de sperme et autres preuves accablantes…

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Tout ça pour vous dire que j’ai eu un bonheur immense à revoir Profession reporter qui est à mon sens le meilleur film d’Antonioni. Les natures géniales rajeunissent périodiquement disait Goethe. Et ce film n’a pas pris une ride. Sorti dans les salles en 1975 il aurait tout aussi bien pu être tourné en 2011. On a du mal à imaginer Maria Schneider vieillissante, condamnée à une mort prématurée et injuste. Avec Nicholson elle incarne dans ce film la jeunesse même, et la rencontre de David Locke avec Maria (la fille dans le film) à Casa Mila (La Pedrera) à Barcelone est un moment magique que seul un metteur en scène comme Antonioni peut nous faire vivre. Jamais la ville de Barcelone n’a été filmée avec autant d’amour, avec ses Ramblas qui descendent vers la mer, ses édifices baroques issus de l’imagination fertile de Gaudi, la Sagrada familia où le couple se retrouve et la lumière catalane qui irradie avec éclat les êtres et les choses. C’est un film qui vous donne à coup sûr envie de partir mais ce n’est pas là l’essentiel.

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Qui n’a pas eu envie un jour de changer de peau, de larguer les amarres et de recommencer à zéro ? Nous sommes tous en quête de cette seconde naissance qui nous permettrait de fuir nos démons et nos servitudes, de rompre avec nos habitudes aliénantes, d’instaurer une meilleure communication avec autrui et avec le monde. C’est cette opportunité qui est offerte à David Locke journaliste de télévision parti en Afrique pour tourner un documentaire sur un mouvement de guérilla. Dans son hôtel perdu dans un désert africain il « découvre » le cadavre d’un homme qui lui ressemble, un certain Robertson qui fait du trafic d’armes pour soutenir les rebelles. David échange ses papiers avec ceux du mort pour faire croire à son propre décès et s’approprie l’identité du défunt…il décide sans raison de suivre l’itinéraire que devait emprunter Robertson et d’aller aux rendez-vous notés sur son agenda. Commence alors une road- movie  qui nous transporte à Londres, Munich, Barcelone, Alméria…Le voyage devait continuer à Tanger mais David est tué dans une chambre d’hôtel par des barbouzes africains qui l’ont pris pour le véritable Robertson.

antonioniAntonioni on l’a assez dit et écrit est le cinéaste de l’incommunicabilité, du désarroi de la subjectivité contemporaine. Héritier du néo-réalisme italien et influencé par le film noir américain et le cinéma d’auteur français, Antonioni a exprimé mieux qu’aucun autre la sensibilité contemporaine , le mal de vivre de la jeunesse européenne dans les années soixante et soixante dix (L’aventura, L’éclipse et Blow up…). Il utilise souvent la technique du plan séquence qui permet une plus grande liberté et rend le récit plus efficace. Quelquefois il n’hésite pas à faire du cinéma direct comme dans certaines séquences de Blow up…Lecteur du grand poète César Pavese (qu’il a d’ailleurs adapté à l’écran dans Femmes entre elles), il en a gardé une certaine tristesse dans le ton et un désenchantement pour ne pas dire désespoir…L’échec final de David et sa mort dans un village près d’Alméria dans Profession reporter m’a fait penser au suicide de Pavese. Mais Antonioni transforme cette tristesse en beauté (tragique dirions nous si le terme n’a pas été galvaudé). De ce point de vue Profession reporter est une danse d’amour et de mort qui immortalise le couple Nicholson/Maria Schneider…

blowup allstar-21851Une dernière remarque. Le film d’Antonioni m’a fait penser au film de Jan Jarmusch, Limits of control que j’ai vu au festival de Marrakech il y a quelques temps. Les deux œuvres se rapprochent par l’intrigue, et une manière identique de filmer les espaces.  A croire que l’Espagne inspire les cinéastes étrangers qui mettent à profit sa lumières et la splendeur de ses villes mieux encore que ne le font les cinéastes ibériques eux-mêmes

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