La beauté des métaphores.

                        « Dieu que je peux souffrir, c’est terrible d’avoir le don de tout ressentir avec une telle intensité » (Virginia Woolf, citée par J.L.Godard

                         « L’homme a dans son cœur des endroits qui n’existent pas encore et où la douleur entre afin qu’ils soient… » Godard.

 

Revoir des extraits des Histoire(s) du cinéma de Jean Luc Godard est ma prière du matin depuis quelques jours. Rien de mieux pour entretenir l’amour du cinéma qui comme tout amour se meurt d’inanité. Et je me surprends chaque fois à y trouver matière à réflexion, sans parler de l’émotion très particulière et quelquefois intense que la propre voix de l’auteur nous communique avec ses réparties touchant à l’Histoire de l’art, à la nature de l’image cinématographique et son rapport à l’Histoire avec grand H…C’est incontestablement le sommet du Godard essayiste, le Godard de la maturité qui a fait son chemin depuis l’Avenue de Messine après avoir participé à l’éclosion de la Nouvelle vague et donné quelques perles au cinéma français (A bout de souffle, Pierrot le fou…),  après avoir été meneur en 68 et frayé avec le cinéma militant (La chinoise, Vent d’est…et sa participation au groupe Dziga Vertov). De telles expériences vous marquent et Godard en bon joueur de tennis n’est jamais à bout de souffle…

     De son propre parcours il est justement question dans ces Histoire(s) du cinéma, et c’est un moment intense pour le cinéphile d’entendre Godard raconter la naissance de la Nouvelle Vague dans un « chapitre » qui porte ce titre, évoquer ses amis cinéastes ou compagnons de route : Becker, Rossellini, Melville, Franju, Truffaut, Jay Leyda, Lotte Eisner…Et surtout Henri Langlois grâce à qui la lumière fut…Il y eût donc la Cinémathèque et la découverte de cet autre cinéma qui n’était pas celui du Samedi soir, le cinéma de tout le monde, celui du Vox, du Palace et du Miramar…Le vrai cinéma était celui qui ne peut se voir, soit à cause de la censure où parce qu’il n’intéressait pas les distributeurs de l’époque. Et Godard de rendre hommage à Langlois : Nous étions sans passé et l’homme de l’avenue de Messine nous fit don de ce passé métamorphosé au présent, en pleine Indochine, en pleine Algérie. Et quand il projeta l’Espoir pour la première fois, ce n’était pas la Guerre d’Espagne qui nous fit sursauter mais la fraternité des métaphores…Nous fûmes donc éblouis davantage que Le Gréco en Italie et Goya aussi en Italie et que Picasso devant Goya….

         Ces Histoire(s) du cinéma sont la plus puissante encyclopédie d’idées et d’émotions qu’un cinéphile patient puisse avoir à sa disposition. Ces chapitres peuvent se voir et s’entendre comme une polyphonie où interférent des sons, des images, des voix et des musiques dont la mixture agit en profondeur, comme certaines musiques d’Orient ou certains morceaux de free jazz. Godard nous fait don de sa riche histoire et de sa culture qui ouvre pour le néophyte de nouveaux horizons. Je prends à tout hasard l’histoire de la peinture. Godard montre comment la peinture tout au long de son histoire a essayé de cheminer vers l’expression cinématographique. Les portraits de femmes de Manet sont des formes qui cheminent vers la parole, des formes qui pensent, et toutes ses bonnes femmes ont l’air de dire : Je sais à quoi tu penses…L’invention du cinématographe est de ce point de vue un accomplissement du rêve de la peinture…

            Un autre exemple concernant le rapport au langage dans le cinéma italien. Godard remarque à juste titre que depuis Rome ville ouverte tous les grands cinéastes italiens (Visconti, Fellini, Antonioni et bien sûr Rossellini…) tournent sans enregistrer le son avec les images. Godard se demande comment le cinéma italien est devenu si important malgré ce procédé de fabrication lacunaire. Sa réponse : La langue d’Ovide et de Virgile, de Dante et Léopardi est passée dans les images…