Cinéma et conscience.

Publié le par Drinkel

 

Lino Micciché fut l’un des théoriciens de cinéma les plus importants en Italie. Historien de profession, essayiste, il a publié de nombreux ouvrages sur le cinéma, et a dirigé  en outre  le festival de Pesaro durant près de quarante ans (il en fut le co-fondateur) et a enseigné dans divers universités européennes dont la Sorbonne et à l’université de Rome. En 1993 il est venu à la faculté des Lettres de Rabat pour donner une conférence sur Cinéma et Histoire dans le cadre d’un colloque universitaire que j’ai coordonné. J’ai retrouvé des notes et un enregistrement audio du débat qui a suivi sa conférence. J’ai retranscrit pour les lecteurs du blog le commentaire de Lino Micciché sur la question du cinéma et de la conscience de l’événement dont je publie ici la première partie. Lino Micciché  est décédé en 2004 à l’âge de soixante dix ans.

 

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Je pense qu’il y a un dispositif cinéma et un dispositif télévision et que le dispositif cinéma suppose qu’on ne voit pas chez soi le film (no home audience)  qu’on le voit sur un fauteuil,  en silence pour écouter la bande son, qu’on le voit dans l’obscurité pour mieux voir les images (la première chose que fait le metteur en scène quand il montre son film en salle c’est de fermer toutes les portes),  de le voir sur grand écran avec le public après avoir payé le billet et fait la queue…alors que le dispositif télévision est le contraire de tout ça. On voit la télé sur un petit écran, dans le bruit, sur son propre fauteuil, sans payer de ticket par décision personnelle….  Certes on peut voir un film dans le bruit, dans l’absence d’obscurité, debout sans rien payer mais quand tous les éléments du dispositif sautent c’est le dispositif cinéma qui saute, ce qui change totalement la perception des images. Le spectateur de salle s’identifie avec le grand écran et personne ne s’identifie avec l’écran de  télévision. Dans ce sens je voudrais me référer à Marx qui identifie l’idéologie au premier sens du terme à la chambre obscure de la conscience. Ce que le cinéma a dans la mémoire des peuples et des gens, c’est qu’il est toujours la trace inébranlable d’une conscience de l’événement, y compris dans les films les moins intéressants. Dans les comédies superficielles du cinéma italien des années cinquante qui sont nulles du point de vue de l’art, il y a cependant des traces de conscience inconsciente et sont de ce fait des documents historiques incontournables.

 

 

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Entre l’illusion que le cinéma est neutre devant l’événement- il ne peut pas l’être- il y a toujours un vécu de la caméra qui met en jeu le vécu de l’événement même si l’événement est réel et la mémoire et la conscience. Je ne pense pas que le cinéma puisse témoigner objectivement  sur les événements, mais il témoigne de manière irrécusable sur la conscience des événements. Le mémoire individuelle peut être à la fois événement et conscience de l’événement (jeu subjectif)- mais la mémoire collective n’est jamais l’événement mais la conscience collective des événements, et sur ce point le film est le document le plus important. Rien ne peut être comparable au cinéma dans ce siècle, pour nous donner la conscience de l’événement (ce qui été la conscience de l’événement) sans prétention à être objectif. Et dans ce sens la reconstruction de la mémoire aujourd’hui ne serait pas pensable sans le cinéma.

 

vie à nous 

 

Malgré un procès d’abstraction  théorique que chacun de nous est capable de faire, je ne peux pas imaginer le siècle où nous vivons sans ce type de conscience que nous a donné le cinéma. Même le cinéma d’ Antonioni , réputé intimiste et trop personnel nous donne une conscience de l’effet induit par l’industrialisation des sociétés et les processus d’aliénation qu’elle a engendré. De la même façon on ne peut comprendre la situation de la femme au Maroc sans se référer aux œuvres des cinéastes marocains qui ont traité de ce thème comme c’est le cas dans le film de Ferhati, Poupées de roseaux. Je n’ai pas les arguments ni la connaissance pour juger si la situation de la femme au Maroc est comme Ferhati nous dit, mais je sais que la conscience de la situation de la femme au Maroc certainement a dans le film de ferhati un point objectif dont on ne peut pas ne pas tenir compte. L’aide que le cinéma donne à la mémoire est de l’ordre de la conscience est pas au niveau  de l’événement.  (à suivre).

 

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jorge Sanjines

 

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