Tu n'as rien vu à Hanoi...

Publié le par Drinkel

  affiche du film vertiges de bui thac chuyen 

Avec la littérature, le cinéma est sans doute le meilleur moyen pour s’approcher à distance des autres cultures. Les images et les sons nous mettent en contact quasi physique avec les sociétés qui nous étaient jusque là étrangères. L’érotique du Japon n’a  plus de secrets pour celui qui a vu les films de  Nagisha Oshima ou lu les romans  de Mishima. Les films de Jean Rouch ou Sembene Ousmane  nous font connaître les réalités africaines mieux que tous les traités de sociologie…

    Avec le film Vertiges du vietnamien Bui Thac Chuyên, présenté la semaine dernière au festival du film de femmes de Salé, c’est une découverte d’un autre aspect de Hanoi, la ville qui a tenu tête pendant des années à la plus puissante machine de guerre de tous les temps, et suscité l’admiration de la jeunesse du monde dans les années soixante et soixante dix du siècle dernier. C’est d’un autre Hanoi qu’il est question dans Vertiges, puisque des décennies de guerre n’ont pas tué le désir de vivre et d’aimer qui sont une aspiration universelle et le besoin de tout un chacun sous toutes les latitudes. Il faut d’abord préciser que la traduction du titre vietnamien Cho Voi, donnerait A la dérive, et c’est bien d’une dérive qu’il s’agit puisque les personnages sont emportés par un tourbillon de désirs et d’affects, dans une ville trempée jusqu’aux genoux par la mousson et les pluies nocturnes. Et puis il y a le tourbillon de phrases d’une Duras vietnamienne, la douce Linh-Dan Pham qui interprète le rôle d’une écrivaine secrètement amoureuse de sa meilleure amie, la sensuelle Hai Yen qui se marie par devoir à un chauffeur de taxi immature qui confond le lit matrimonial avec le berceau maternel et plonge dans les bras de Morphée au lieu de serrer son épouse légitime. Film sur le désir et le manque, la quête insatiable et les larmes d’éros, Vertiges nous plonge dans le quotidien d’une ville avec comme partout une circulation infernale, des vitrines achalandées et l’asphalte qui brille sous le reflet des lumières et les milliers de motocyclistes..

affiche_du_film_vertiges_de_bui_thac_chuyen.jpg 

    L’érotisme se nourrit de pudeur. Moins on en montre plus on entrevoit. Les scènes de nu sont très rares dans le film, pourtant on a l’impression d’avoir vu un film japonais. Même la révélation finale où les deux héroïnes prennent ensemble un bain de vapeur est très pudique. A aucun moment on ne les voit enlacées, mais plutôt dans une posture fœtale comme une nostalgie du plasma originel. Et on pense plutôt au film de G.Cukor,  Riches et célèbres lorsque Jacqueline Bisset et Candice Bergen sont enfin ensemble devant un feu de cheminée le 31 décembre…

   Lors du débat que j’ai eu le plaisir de modérer en présence de l’actrice Linh-Dan Pham, les intervenants ont curieusement passé sous silence la relation amoureuse entre les protagonistes du film pour se focaliser davantage sur le rapport de Duyen et Tho, l’amant dans les bras duquel Cam a jeté son amie pour mieux la récupérer, sachant très bien la profondeur du lien qui les unit ensemble. C’est que l’aspect charnel passe tout à fait au second plan, et comme l’a dit Zulawski, L’important c’est d’aimer.

vertiges 

     Vertiges est le second film de Bui Tac Chuyen qui a réalisé Vivre dans la peur en 2006. C’est un connaisseur des ressorts de l’âme féminine, et pour qui n’aurait pas lu le générique, il aurait facilement  pensé qu’il s’agit là  d’un film de femme, tant la subtilité et la douceur de la mise en scène sautent aux yeux. Le film, réalisé en 2009, a reçu plusieurs prix dans les festivals internationaux, dont celui du FIPRESCI (Presse internationale) au festival de Venise.

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