Rohmer l'enchanteur

Publié le par Drinkel

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De tous les films de Rohmer, Conte d’hiver est celui que l’on peut revoir régulièrement en retrouvant intacte l’émotion de la première vision. C’est l’œuvre où se révèle dans toute sa splendeur le goût de la beauté, qui définit mieux que tout autre critère l’univers rohmérien. Cette exigence s’exprime aussi bien dans le choix des acteurs que celui des espaces, des couleurs et des décors. Impossible d’oublier Félicie que l’on retrouve à chaque nouvelle projection comme une amie qui vous a fait défaut par son absence momentanée, où Loïc l’intellectuel amoureux éconduit qui continue néanmoins à espérer…Même les personnages « négatifs » sont vrais en un certain sens, comme Maxence que Félicie pensait pouvoir « supporter » en allant vivre avec lui à Nevers mais qu’elle finit pas quitter très vite en réalisant sa méprise. On voit le couple déambuler presque amoureusement dans les vieilles ruelles, rue des belles lunettes, rue casse cou…et on comprend. Les plans, les mots ne sont jamais gratuits chez Rohmer. Quand les images ne suffisent pas ou qu’il y a incertitude Rohmer se rattrape plus tard.

PDVD 020Il est beaucoup question de hasard, de destin, de sacré, de coïncidences dans ce film. D’abord le titre. On sait qu’il est emprunté à une tragédie de Shakespeare dont l’épilogue final est repris justement par Rohmer dans la représentation théâtrale à laquelle assiste Félicie et Loïc, et où l’on voit la statue d’Hermione reprendre vie devant le roi et sa fille incrédules. Et c’est après cette représentation que Félicie  retrouve l’homme qu’elle aime, Charles dont elle n’a plus eu de nouvelles depuis qu’ils se sont rencontrés sur une plage de Bretagne en été. Le prétexte de cette séparation est trivial. En écrivant son adresse sur un bout de papier Félicie a noté rue Courbevoie au lieu de Levallois. Elle habitait rue Victor Hugo et là encore il faut chercher la raison. On a beaucoup glosé sur le côté religieux de ce film. Rassurez vous-même les athées y trouveront leur compte. Certes il est beaucoup question d’épiphanie, d’églises et de cathédrales, du tombeau de sainte Bernadette, de foi et de résurrection. Mais tout ça pour la cause sacrée de l’Amour. C’est Eros qui tend de bout bout ce conte d’hiver.265504-332328

D’aucuns trouveront les discussions sur la métempsychose, le pari pascalien ou la théorie platonicienne de la réincarnation relativement indigestes. Mais la peinture que Rohmer fait de ses personnages les rend supportables et même attachants. En ces temps où les intellectuels sont décriés un peu partout et remplacés par de fausses idoles, il est bon d’entendre une conversation philosophique, des propos sincères sur l’amour, le désir et la perte, ces petits riens qui font l’essentiel de nos vies. Serge Daney parlait naguère d’inscription vraie au sujet des plans qui expriment avec force un sentiment, une idée. Et c’est bien la qualité de ce conte d’hiver où Rohmer se révèle un orfèvre qui sculpte avec finesse les contours de l’âme humaine.

Jamais Eric Rohmer n’a été aussi jeune que dans ce film. Mais jeune il l’a toujours été et on peut dire qu’il « filme de mieux en mieux ». Sa résurrection est garantie.

Publié dans Histoire du cinéma

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