Pygmées...

Publié le par Drinkel

            Les blogs sont d’excellents moyens pour redonner vie à des textes qui dorment dans les fonds de tiroirs. Tout critique de cinéma dispose d’une manne de « vieux » textes, entretiens, compte rendus, qu’il n’a pu publier à temps pour une raison ou une autre. J’ai décidé, et ce n’est pas par paresse, d’exhumer des textes qui me paraissent devoir apporter de l’information et enrichir le débat sur des questions d’actualité, comme le cinéma ethnographique. Il y a quelques années j’avais rencontré le cinéaste André Adam et recueilli ces propos à l’occasion de la présentation  de son film Pygmées au festival de  Rabat. Cet entretien n’a jamais été publié,  et je suis heureux de le présenter aujourd’hui aux lecteurs de mon blog.

-Comment êtes-vous devenu Réalisateur ?

-Je viens de la télévision, j’ai fait dix ans de télévision avant de commencer à faire du cinéma. La télévision fut une très bonne école pour moi.. En 1962 j’ai commencé à travailler pour l’émission Cinq colonnes à la Une, comme technicien de son. J’ai fait de grands reportages et c’est ainsi que j’ai appris le métier à travers l’Actualité. Quand j’ai décidé de faire de la réalisation, il était normal que je commence par des documentaires. J’ai réalisé dans ce cadre une série sur les minorités dans le monde et c’est ainsi que j’ai découvert les pygmées. Mes découvertes étaient en contradiction avec ce qu’on m’a inculqué à ce sujet quand j’étais enfant, Tarzan et les méchants pygmées….Certes leurs conditions de vie sont totalement anachroniques, mais leur culture est fascinante et ils sont parfaitement intégrés dans leur milieu naturel, c’est-à-dire la vraie forêt. J’ai été touché et impressionné par les pygmées et j’ai décidé de réaliser mon premier long métrage avec eux, sur eux. En fait c’est une trajectoire naturelle, on rêve tous quand on fait du documentaire de devenir un grand reporter, de tourner une fiction qui colle à la réalité. L’idéal serait de réaliser un film où la caméra est invisible, que les acteurs jouent leur propre rôle dans la vie, refléter la réalité quotidienne.

-Comment avez-vous dirigé les acteurs dans Pygmées ?

-Il y a un seul acteur professionnel, c’est Didier Sauvegrain. Les Pygmées jouent leur propre rôle dans la vie. Les nomades sont de vrais nomades, les sédentaires de vrais sédentaires. Les Bantous, qui sont les méchants dans le film, sont les propriétaires des Pygmées et ils ont interprété leur vrai rôle dans la vie.

-Peut-on parler d’exploitation des Pygmées par les autres habitants ?

-en fait il y a une stratification pyramidale, en haut la technologie importée, la technologie des blancs, en bas les pygmées et entre les deux des strates intermédiaires constituées par certaines ethnies…

-Vous dénoncez l’exploitation dont sont victimes les Pygmées et en même temps vous semblez opter pour leur intégration dans le mode de production capitaliste pour leur éviter de continuer à être exploités par les Bantou..

-Je n’ai pas cherché à dénoncer mais à montrer une réalité comme elle se présente vraiment. Ce n’est pas un film militant mais un moyen pour permettre aux uns et aux autres de réfléchir et de trouver des solutions.

-Votre film s’apparente au genre de cinéma ethnographique…

-J’ai approché les Pygmées en allant vivre chez eux, avec eux. Tout ce que vous avez vu est le résultat d’une présence prolongée au milieu des Pygmées. Je pense qu’on fait fausse route si on se réfère aux livres pour approcher les gens.

-Pygmées a obtenu le prix Georges Sadoul en 1985. Est-ce que le public a bien réagi au film ?

-Le film a eu de très bonnes critiques en France. J’ai eu des articles dithyrambiques aussi bien dans le Figaro que dans l’humanité. Le public américain a bien réagi, mais quand j’ai montré le film au Festival de New-York, j’ai eu des réactions partagées de la part des américains d’origine africaine. Les noirs américains découvraient en quelque sorte leur origine et ne soupçonnaient pas le clivage et l’exploitation dont sont victimes certaines minorités en Afrique même. Toutes les questions qui m’ont été posées allaient dans ce sens. Il y a même certains critiques qui ont écrit que j’apportais du moulin à l’eau du racisme. Les américains d’origine africaine ne comprenaient pas que les situations que je décris dans mon film puisse exister alors que eux-mêmes mènent un combat pour l’égalité raciale.

-Est-ce que le jeune pygmée nomade qui s’appelle Ekoma est un acteur non professionnel ?

-Ah oui, complètement. C’est un jeune pygmée nomade que j’ai rencontré dans la forêt et qui au bout de sept jours est devenu un acteur ! Les pygmées sont des gens très doués. Ils n’ont pas le même rapport à l’image que nous et échappent totalement à l’autocensure. Si vous leur faites jouer des rôles qui correspondent à des situations réelles ils sont tout à fait capables de les interpréter avec naturel et beaucoup de sensibilité.

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