Paradis parce que perdu.

Publié le par Drinkel

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   « Paradis, parce que perdu, moi qui suis sans lumière à jamais ».

J’ai de plus en plus la conviction que seul le cinéma peut nous aider à supporter l’insupportable, les cris des voisins, les flics devant les portes ou sous les fenêtres, les financiers cyniques, les Présidents mafieux  et la vulgarité partout. Un signe d’humanité, le timbre d’une voix,  la tendresse d’un visage sur le petit ou grand écran ont leur prix d’or avec les temps qui courent. Et justement hier, en ces temps de couteaux tirés et de bûchers dans les coins de rues (je parle de l’Aïd mais pas seulement…), je suis arrivé chez-moi au même moment ou Arte diffusait le beau documentaire Photographic Memory du cinéaste américain Ross Mcelwee. Et déjà je ne faisais plus attention à la voisine qui hurlait derrière sa porte, j’étais transporté par la magie du cinéma à Boston, puis dans un village breton (Saint Quay), avec une voix déjà amie qui me faisait des confidences sur un passé qui aurait pu être mien ou de n’importe quel autre spectateur. Car moi aussi il m’est arrivé de me balader en Bretagne dans les seventies, sans raison, juste pour le plaisir de la découverte et le désir de faire des rencontres comme on peut en avoir envie à vingt quatre ans. C’est à cet âge, et à peu près à la même époque que le jeune américain Ross Mcelwee passionné par la photo, avait pris une année sabbatique et était parti vadrouiller en Bretagne. Dans un bistrot de Saint-Quay-Portrieux  (le premier village où il s’est arrêté), il fera deux rencontres qui le marqueront longtemps et qui sont à l’origine du film. D’abord celle de Maurice, un photographe de mariages et de première confirmation dont il va devenir pour son plus grand bonheur l’assistant, et celle de Maud que le même Maurice a présentée au jeune homme et avec laquelle il vivra une romance après que Maurice l’ait congédié d’une manière qui restera inexplicable pour le jeune américain. C’est sur la trace de ce passé que Ross Mcelwee, devenu plus tard un documentariste reconnu aux Etats-Unis, a décidé d’enquêter en prenant pour prétexte ses rapports avec son fils Adrien, un jeune américain connecté, de cette génération « schizo-numérique » qui a de plus en plus de difficultés à communiquer avec des êtres en chair et en sang, et qui traite avec arrogance et indifférence tous les has been et les attardés de Gutenberg. C’est du moins la manière avec laquelle Adrien se comporte avec son père en manifestant au mieux à son égard une condescendance froide et respectueuse, l’air de dire votre génération m’ennuie, vous ne pigez que dalle ! Donc deux films en un seul si on veut, reliés par le fil de la narration et la voix émouvante du narrateur, qui n’a aucune gêne à évoquer ses tendresses, ses enthousiasmes et ses déceptions, ses carnets de route d’une autre époque où il griffonnait ses rêves et ses rencontres en rêvant secrètement d’une destinée littéraire.

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    Revenu trente huit ans sur les lieux de ses amours, à Saint-Quay Portrieux, le réalisateur a du mal à reconnaître les lieux, y compris le manoir où il logeait et où il était si heureux de dormir à même le sol et de tirer ses photos pour le compte de Maurice. Il est revenu avec une vieille carte recollée  avec les itinéraires qui mènent vers les villages où il prenait les photos de mariage et de confirmation dans les églises. C’est une sorte de recherche du temps perdu qui nous touche par sa naïveté et sa sincérité comme certains films de Robert Benton (l’été 42). C’est aussi une quête analytique car Ross n’arrive toujours pas à trouver une explication convaincante du revirement d’attitude de Maurice à son égard. Pourquoi a-t-il inventé cette histoire de négatif de femme nue, perdu pour le congédier ? Cela a-t-il un rapport avec Maud ? Ross finit par rencontrer la femme de Maurice qui lui apprendra la mort de celui-ci, abandonné après son divorce y compris par sa seconde épouse. Il apprendra que la seule photo qu’il a gardée de Maud avait été prise par Maurice…Et il finit même par retrouver Maud, une vieille dame qui ne se souvient même pas que cet amour avait été autre chose qu’un flirt…

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   Alors ne vaut-il pas mieux quelquefois garder intactes les souvenirs même couverts de la gangue de l’illusion. Tout compte fait, les êtres perdus sont mieux là où ils sont, dans notre mémoire. Paradis, parce que perdu n’est ce pas ?

    Ross McElwee est un documentariste reconnu dans son pays. Il aurait même influencé quelqu’un comme Michael Moore. Son film le plus connu est Sherman’s March  (1986). Le scénario a été écrit en collaboration avec Marie-Emmanuelle Hartness, qui est aussi productrice du film et qui vivait à Boston en même temps que le réalisateur.

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