La plus belle femme...

Publié le par Drinkel

Pourquoi le cinéma marocain, malgré le cumul et une certaine percée quantitative  n’a  pas produit des œuvres d’envergure, même si on assiste ça et là à l’apparition de quelques « œuvres » de bon  niveau, mais à qui manque l’étincelle de génie qui caractérise les vraies œuvres d’art ? En un demi siècle de tournage de films, peu de films marocains resteront en fin de compte dans l’histoire du cinéma mondial comme des œuvres maîtresses et il faudra sans doute attendre longtemps avant que notre Visconti, notre  Tarkovsky, notre Renoir…. ne voient le jour…On peut me rétorquer que beaucoup de nos films ont raflé des prix ça et là et que le cinéma marocain jouit depuis quelques temps d’une bonne réputation dans les festivals. Mais que je sache les grands producteurs ne se précipitent pas pour proposer du travail à nos cinéastes et nos acteurs, et le succès des films marocains ne déborde pas les frontières nationales avec l’exigüité du marché qu’on connaît et peu de films sont programmés à l’étranger même au Maghreb et dans le monde arabe. On pouvait s’attendre à bon droit que nos cinéastes réalisent des œuvres majeures, puisque l’Etat cherche semble t-il à promouvoir ce secteur et que le public est acquis d’avance tellement il a soif de son image et que le cinéma a mobilisé pendant des décennies les intellectuels et les militants associatifs. Au mieux quelques films réussissent à mobiliser les spectateurs cinéphiles ou pas, et leur succès est conjoncturel et sont vite oubliés. En France les jeunes lycéens étudient Partie de campagne ou Jules et Jim  comme ils lisent les romans de Camus ou de Flaubert, car ils font partie du patrimoine culturel et ont participé à la constitution d’une conscience collective et d’une identité nationale. Combien d’élèves dans nos lycées connaissent Wechma de Hamid Bennani ou Chergui de Moumen Smihi, et qui se souvient encore (en dehors de quelques cinéphiles) des films de Reggab ou Mustapha Derkaoui ? Et à l’étranger ? Toute personne cultivée connaît les films de Bergman ou Fassbinder ou Woody Allen partout dans le monde. Et même ceux de Youssef Chahine et Abbas Kioristami pour nous situer à une échelle comparable. Qui parmi nos cinéastes peut prétendre à cette notoriété. Nous sommes en droit de nous y attendre quand on sait les sacrifices consentis par l’Etat, c’est-à-dire le contribuable et par des générations de militants bénévoles qui ont œuvré pour l’émergence du cinéma national et  il ne faut pas toujours invoquer les questions d’argent pour justifier les limites esthétiques et politiques de notre cinéma.

La raison de cette faiblesse réside à mon avis dans le champ du cinéma marocain tout entier. Les agents de ce secteur parlent beaucoup d’argent et peu d’Art. La plus belle femme ne peut donner que ce qu’elle a, et en l’occurrence des œuvres « passables » ou souvent médiocres comme l’atteste la programmation du dernier festival de Tanger. Une honte devant un grand témoin, puisque le Président du jury n’était autre que le penseur Edgar Morin.

Le style dit-on c’est l’homme, et dans l’Art l’univers et l’imagination du « créateur » sont l’essence de l’œuvre. Alors soit beaucoup de nos cinéastes se trompent de désir et font de mauvais films alors qu’ils auraient du faire autre chose. Soit ils manquent de culture et auquel cas ils feraient mieux de s’instruire et commencer d’abord par connaître l’histoire du cinéma, se faire une mémoire en peinture, en sculpture et dans tous les arts visuels, façonner leur « âme » par la littérature, la philosophie, la poésie et s’immerger ensuite dans le vaste monde qui est la première source d’inspiration. Peut-être alors que le regard qu’ils porteront sur la réalité sera chargé de sens et de poésie, et la caméra docile ne demande qu’à enregistre. Alors peut-être assistera-t- on à la naissance d’un vrai cinéma marocain digne des attentes que des générations de cinéastes et de cinéphiles y ont placé.

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