La chambre verte du cinéphile...

Publié le par Drinkel

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tournage de La terre tremble de Visconti;

 

 

 

Ce quinze juin j’ai eu ma journée des morts. J’ai exhumé des voix, des textes d’amis disparus, professeurs et critiques de cinéma que j’ai connus de leur vivant : Lino Micciché, Pierre Haffner.... Ils ont participé à un colloque de cinéma que j’avais organisé à Rabat en Mars 1993,  et nous ont quittés quelques temps après. J’ai retrouvé leurs voix, leurs paroles, mais pas leurs visages. Internet ne garde pas trace de ceux qui sont partis avant deux mille ou si peu. J’ai vainement cherché une photo de Pierre Haffner pour illustrer un  article. Pourtant ce professeur de philosophie parti au Congo au milieu des années soixante dix  fut l’un des plus grands spécialistes du cinéma africain. Il a fait une thèse sur le sujet, une  somme de 980 pages, intitulée  Le cinéma et l’imaginaire en Afrique noire – Essai sur le cinéma négro-africain, qui est une véritable référence en la matière. J’avais rencontré Pierre Haffner la première fois au festival du cinéma africain de Khouribga  à la fin des années quatre vingt. Il avait accepté de répondre à mes questions au jardin de l’hôtel Safir, dans le cadre d’une émission de télévision que je produisais alors pour la chaîne nationale, Grand Ecran. J’ai été impressionné par sa connaissance du cinéma africain et ses publications sur le sujet. Il venait aussi de publier un  livre sur Renoir chez Rivages. Mais c’est surtout en Mars 1993 que je l’ai approché et mieux connu.  J’ose dire que nous sommes devenus amis. Tous les participants au colloque Cinéma, Histoire et Société se souviennent de sa joie de vivre, de son humour et de son savoir encyclopédique sur les cinémas du sud. La dernière fois que je l’ai vu, c’était à Paris en janvier 2000, dans le cadre d’un jury de thèse. Il m’avait bien parlé d’ennuis de santé, de rendez-vous avec des médecins mais je ne soupçonnais pas la gravité de son mal…Il devait aussi rencontrer ce jour là sa fille, Claude Haffner, qui préparait alors une maîtrise en cinéma à la Sorbonne. Elle est devenue cinéaste et a réalisé un film sur Pierre Haffner intitulé D’une fleur double et de quatre mille autres. Et c’est dans son film Noire ici, blanche là-bas que j’ai pu revoir le visage de Pierre où on le voit au début du film sur un album de famille…

 

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 Claude Haffner, fille de Pierre Haffner devenue réalisatrice

 

L’autre voix qui m’a impressionné ce vendredi 15 juin est celle de Lino Micciché, avec son verbe rigoureux et vigoureux quand il s’agit de cinéma. C’est l’un de ces esprits rarissimes qui vous donne l’impression en l’écoutant ou en le lisant de progresser et d’en savoir un peu plus… Polyglotte je l’ai vu faire directement une conférence en français à partir d’un texte italien (le sien) qu’il traduisait de manière impeccable sans faux accord ni hésitation. En transcrivant le texte de la bande magnétique je n’avais qu’à écrire sous la dictée du maître, intervenant juste pour la ponctuation. Je lui ai envoyé le texte par acquit de conscience et il donna son accord pour sa publication dans les Actes du colloque. Il émane de sa personnalité une force de conviction et un amour du cinéma qui vous réconcilie avec la critique et la théorie, tellement malmenés ces dernières années par le journalisme superficiel et l’opportunisme des faux critiques. Il fait partie de cette race des vrais exégètes et théoriciens du septième Art, les Bazin, Sadoul, Tahar Cheriâa, siegrfried Karacauer, Christian Metz…pour qui l’écriture sur les films n’est pas un exercice vain de narcissisme intellectuel ou une occupation triviale pour les chasseurs de festivals. J’ai regretté de ne pas avoir noué des relations continues avec Lino Micciché qui a disparu en 2004, pensant que l’occasion se présenterait à nouveau …

 

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Lino Micciché

 

Lino Micciché qui est né en 1934 a commencé assez tôt à s’occuper d’activités cinématographiques. Il avait à peine vingt ans quand il devint critique de cinéma et coordinateur national en Italie des centres universitaires de cinéma. Après avoir réalisé quelques films de montage dont « All’armi siamo fascisti » (considéré comme le plus beau film de montage), il se consacra entièrement à des études sur le cinéma, comme critique et chercheur…Militant du parti socialiste italien jusqu’à 1989, il dirigea la rubrique cinématographique du journal  L’Avanti  jusqu’à cette date. Il est aussi le fondateur du festival de Pesaro dédié au cinéma nouveau (l’équivalent du cinéma d’auteur). Il a enseigné dans diverses universités dont celle de Rome III. Ses ouvrages sur le cinéma néo-réaliste, notamment les films de Visconti et Pasolini sont des classiques. Il a lancé la revue de cinéma Cinécritica. Il a aussi occupé divers postes de responsabilité  notamment le poste de Président  de l’Ecole Nationale de cinéma et Président de la FIPRESCI (fédération internationale de la presse cinématographique). Alors ce 15 juin, j’ai eu une pensée pour ces deux amis qui m’ont aidé à y voir un peu plus clair et à ranimer la flamme de la cinéphilie tellement menacée d’extinction dans nos sociétés où le « le désert croît ».

 

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