Entretien inédit avec Olivier Assayas

Publié le par Drinkel

Tout critique conserve dans ses tiroirs des notes, comptes rendus de films, entretiens non publiés ou dont la diffusion a été limitée pour des raisons diverses…L’existence de blogs permet de rattraper le temps perdu, de donner aux textes une nouvelle existence, apporter un éclairage sur la genèse d’une œuvre…Après la diffusion d’un entretien inédit que m’avait accordé le grand cinéaste africain Sembène Ousmane, je me permets aujourd’hui d’exhumer le texte d’un entretien que le cinéaste français Olivier Assayas m’avait accordé au tout début de sa carrière à l’occasion d’un passage à Rabat vers la fin des années quatre vingt…Le décalage temporel n’enlève rien à la maturité et à l’intelligence des propos que je suis heureux de présenter aux lecteurs de mon blog.

Dahan : avant de réaliser votre premier long métrage « Désordre », vous étiez critique aux Cahiers. Quelle a été votre expérience en tant que critique ?

Olivier Assayas : c’est difficile de parler de la critique. On a le sentiment que c’est une activité froide. Je suis au contraire partisan de l’analyse que faisaient les gens de la nouvelle vague qui disaient au fond que les textes qu’on écrit sur les films des autres sont des films qu’on a pas encore eu la possibilité de faire. C’est déjà une manière de faire du cinéma. J’ai toujours le sentiment que l’essentiel de ce que je sais sur le cinéma , je l’ai appris en écrivant autant qu’en voyant des films. La mode aujourd’hui (1988) c’est de mépriser la théorie, la réflexion alors que c’est quelque chose d’essentiel pour faire du cinéma.

Dahan : Comment est né chez vous le désir de faire des films ?

Assayas : Je n’ai pas à proprement parler de formation cinématographique. Mon père était cinéaste (il est italien, ma mère hongroise). J’ai eu très tôt envie de faire des films. Grâce à mon père j’ai commencé à quinze ans à effectuer des stages sur des tournages, à assister au montage…donc j’ai été familiarisé très tôt aux aspects pratiques du cinéma. J’ai toujours eu une certaine méfiance pour l’Enseignement universitaire. Je pense que le cinéma est d’abord un Art, et ce n’est pas à l’Université ou dans les instituts que l’on peut apprendre à devenir cinéaste. J’ai toujours eu le sentiment que le cinéma se nourrit de la vie, de l’expérience personnelle. J’ai fait parallèlement des études littéraires. J’ai longtemps peint, fait beaucoup de dessins. Progressivement je me suis rapproché du cinéma à ma façon. J’ai commencé à bricoler des courts-métrages avec des copains, à écrire des scénarios. Puis j’ai commencé à écrire pour les Cahiers à partir de 1979 ce qui était pour mon père une hérésie car il avait fait partie de la catégorie de cinéastes appelée Nouvelle qualité française, lesquels ont été descendus par les critiques des cahiers dans les années soixante…J’ai écrit et travaillé sur beaucoup de scénarios parce que j’aime l’Ecriture. Quand j’ai écrit Rendez-vous, je n’étais pas du tout connu et Téchiné était dans dans une mauvaise passe. On avait signé avec le producteur un Contrat qui était une escroquerie totale. Le scénario a été écrit très vite. Je crois que les meilleures choses se font très vite. Le film fut une réussite commerciale. Nous étions malades Téchiné et moi parce que nous n’avions pas de pourcentages sur les bénéfices. Ensuite nous avons fait Le lieu du crime. Le film est en partie autobiographique (Téchiné). J’ai aidé Téchiné à écrire certaines scènes en collaboration avec Pascal Bonitzer. Ma participation à l’écriture fut d’ordre technique.

Dahan : Quels sont les réalisateurs qui vous ont influencé ?

Assayas : Cela dépend des périodes. Il y a sûrement Bresson. Pour moi c’est l’un des plus grands cinéastes…Je peux encore citer Renoir, Truffaut.bresson1

Dahan : et Godard ?

Assayas : J’ai une immense admiration pour J.L. Godard mais ce n’est pas un cinéaste dont je me sens proche. Sa manière de concevoir le cinéma n’est pas la mienne parce qu’elle est trop référentielle. J’aime précisément chez Bresson, Renoir, Truffaut, l’absence de pesanteur culturelle, de références esthétiques, littéraires. J’admire chez ces auteurs l’approche simple, pure humaine des personnages. C’est l’inverse chez Godard.

Dahan : et parmi les cinéastes non français ?

Assayas : Bergman. Le Bergman du Silence, de Persona, du Loup et même le Bergman de la dernière période (…soixante dix  quatre vingt), avec des films comme Sonate d’automne. J’aime aussi Bunuel et Tarkovsky. André Roublev est l’un des plus beaux films que j’ai jamais vu. Je suis en train de lire le livre que Tarkovsky  a écrit au sujet de sa conception du cinéma. Il est écrit en anglais et porte le titre « Sculpting in time ». A mon avis c’est l’un des plus beaux livres écrits sur le cinéma. Tarkovsky est certainement l’un des plus plus grands artistes du vingtième siècle. Il est au-delà du cinéma.Ingmar-Bergman

Dahan : comment as-tu produit Désordre ?

Assayas : Cela s’est passé d’une façon très simple en comparaison avec ceux qui font leur premier film, au point que c’en est presque indécent. J’ai écrit le scénario, l’ai donné à un distributeur pour avoir son opinion. Au bout d’une semaine, le distributeur en question a proposé de produire le film. Il m’a proposé un budget bien au-delà de mes attentes. Christian Bourgeois, l’éditeur, qui était à l’époque Président de la Commission d’Avance sur recettes a lu à son tour le scénario et l’a aimé. J’ai donc bénéficié d’une importante aide financière. Le film a coûté aux alentours de six millions et demi de francs, ce qui représente la moitié du budget d’un film français normal.

Dahan : Est-ce que tu te considères comme un descendant de la Nouvelle Vague. ?

Assayas : Les cinéastes que l’on regroupe sous le terme générique de Nouvelle Vague sont différents les uns des autres. Godard, Truffaut, Chabrol, Rohmer, Rivette sont des gens très différents les uns des autres…Ce qui est important c’est la notion d’auteur telle qu’elle a été élaborée et conceptualisée par Les Cahiers du Cinéma. Idée selon laquelle celui qui fait des films a une inspiration  qui est la sienne. Le réalisateur fait une œuvre de la même manière qu’un écrivain écrit des livres. Il a un cheminement qui est le sien et il doit faire confiance à sa propre inspiration. Cette idée qui fut celle des Cahiers et des gens de la Nouvelle Vague a profondément marqué l’évolution du Septième Art. Le cinéma devient un Art, une démarche personnelle. Je me reconnais dans cette démarche et non dans une conception industrielle ou commerciale du cinéma.sjff 01 img0013tarkovsky

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