Cinéma et Histoire: la bataille des trois rois.
Je continue à rendre hommage aux chercheurs disparus, qui ont fait du Colloque Cinéma, Histoire et Société qui a eu lieu il y a près de vingt ans à la faculté des lettres de Rabat un moment exceptionnel dans la réflexion sur le rapport cinéma et Sciences humaines. Après l’évocation de la mémoire de Lino Micciché et Pierre Haffner, je rends hommage aujourd’hui au regretté Mohamed Zniber, militant du mouvement national dès son jeune âge, et qui a contribué activement à la vie politique marocaine après l’indépendance, en militant dès 1958 dans les rangs de l’UNFP . Il était historien, romancier et grand connaisseur de la musique arabo-andalouse. Je publie dans ce blog un extrait de son intervention intitulée Pour un art au service de la vérité.
Le regretté Mohamed Zniber
« …Il y a maintenant, un domaine qui par rapport au Maroc, revêt une importance toute particulière. Il s’agit de l’histoire. Le pays peut s’enorgueillir, en effet, d’avoir une histoire nationale, plus que millénaire. Par sa situation géographique il a été amené à avoir des rapports avec l’Orient, avec l’Europe et avec l’Afrique noire. Il a vécu des moments de gloire, de crise, de guerre. Il a porté ses conquêtes ailleurs et il a été conquis à son tour. Il a compté beaucoup d’hommes illustres dont le renom a débordé les frontières du pays, c’est-à-dire que son histoire fourmille de sujets de sujets pour le cinéma.
Nous sommes, malheureusement emmenés à constater là aussi une carence incompréhensible. Bien plus, les quelques films qu’on pourrait qualifier d’historiques sont loin de satisfaire l’attente de l’historien et du critique cinématographique. Certes la télévision marocaine s’est essayée à quelques feuilletons de caractère historique. Actuellement, on est en train de faire passer le feuilleton Idris 1er dans lequel participent quelques acteurs égyptiens. Le reste c’est de l’apologétique, de la érthorique.
Plus sérieuse a été la tentative de Souheil Benbarka avec la Bataille des trois rois, film inspiré par un grand moment de l’histoire du XVIème siècle. Le réalisateur a pris son sujet à bras le corps. Il a réussi à nous donner de belles images, avec une profusion de couleurs, de beaux palais où s’agitent de jolies femmes et des princes lascifs et sensuels. Mais il a raté l’évocation historique. Aucun des personnages présentés n’est authentique. Il a cherché à faire dire à l’histoire exactement ce qu’elle ne disait pas. Pourtant les chroniqueurs, les historiens, nous ont laissé des portraits saisissants des différents personnages historiques, tel le jeune roi portugais Don Sébastien, le monarque sâadien décu Al Mutawakil, le sultan Abdelmalik et son successeur Ahmed al-Mansur ad-Dahbi. Tout récemment le Professeur Lucette valensi a publié à ce sujet un livre passionnant : « Fables de la mémoire : la bataille des trois rois ».
Don Sébastien, roi portugais, tué à Oued Al-Makhazine lors de la bataille des trois rois.
Souheil Benbarka n’a pas réussi à rendre compte de l’événement parce qu’il n’a pas approfondi la partie historique de son film. Il s’est contenté de regarder l’histoire de haut et de biais, de sorte qu’il n’a retenu que les côtés superficiels. Il n’a pas essayé de pénétrer les motivations réelles des différents personnages. Il n’a pas compris par exemple, que la trahison d’Al Mutawakil a été à l’origine d’un véritable sursaut national au Maroc, et a eu pour effet une mobilisation populaire spontanée pour repousser l’agression. Au lieu de saisir les moments cruciaux de cet événement majeur de notre histoire, le réalisateur s’est contenté de développer un discours sur la tolérance, alors que la bataille des trois rois fut le produit de l’intolérance sous sa forme la plus criante.
…Certes un cinéaste ne fait pas de l’histoire avec la même rigueur que l’historien de profession quand il mène une recherche historique ou donne une leçon d’histoire. Il peut prendre certaines libertés avec les faits, et les recréer dans un cadre imaginaire. Mais cela n’empêche pas le film historique quand il est bien fait, de nous fournir une évocation suggestive de l’événement. Je suis pour ma part convaincu que l’histoire est le meilleur moyen pour relancer le cinéma marocain et l’engager dans la voie de la création. »