Antigone(s) du Maghreb...

Publié le par Drinkel

 

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Quand on voit le film Militantes de la tunisienne Sonia Chamkhi  on comprend qu’il est relativement plus facile d’abattre les régimes despotiques dans le monde arabe que de changer les mentalités et d’en finir avec la débilité mentale érigée en morale et en idéologie. Quand on sait que l’un des premiers décrets promulgués  en Libye après la chute de Khaddafi fut l’abolition de l’interdiction de la polygamie,  on réalise l’étendue du risque et les dangers qui guettent les libertés personnelles dans le monde musulman. Et c’est le bon et pieux Abdeljalil qui le proclame sur un ton serein,  sûr de son droit puisqu’il se réfère à la charia. Et de même qu’on frisonne quand tel tribun du parti Annahda  proclame devant des milliers de fidèles enthousiastes que « …l’attaque à la pudeur est une menace à l’Union Nationale, à la paix civile et à l’harmonie sociale ».  Bonjour les dégâts. Les barbus ne plaisantent pas, et « l’attaque à la pudeur » s’entend au sens large comme l’a appris à son détriment la cinéaste Nadia El Fani.

 

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 Sonia Chamkhi à Salé (à guche)

 

De cela et autre chose, il est question dans le documentaire passionnant et émouvant de Sonia Chamkhi, intitulé tout simplement et sobrement Militantes. Quand on voit le film on mesure toute l’importance de l’image cinématographique pour restituer la mémoire politique et témoigner du rôle joué par des femmes connues ou anonymes dans la lutte pour l’égalité et la justice dans cette Tunisie de tous les espoirs, et où le processus d’émancipation a commencé bien avant que Bouazizi ne se soit immolé à Sidi Bouzid. Et il suffit de voir et entendre Rhadia Nasraoui pour savoir que le combat  n’a jamais cessé, et que des Antigone, il y’en a eu sous Bourguiba, depuis qu’il s’est mis en tête de garder le pouvoir politique pour lui tout seul en interdisant en 1963 le parti communiste tunisien…, et de citer les noms de militantes comme Amel ben Abba, Aisha Belabed, Dalila  Mahfoud, Badiâa et Bahija Dridi… Toutes ces femmes ont payé leur tribut

à la liberté  par la prison, ou par le sacrifice de la vie familiale et ont fini par arracher  l’égalité qui ne leur a jamais été octroyée comme un cadeau comme semblent le penser certains.

 

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D’autres militantes disent l’horreur de la surveillance totale à l’époque Ben Ali, l’incarcération et la persécution par les barbouzes  durant la terrible décennie quatre vingt dix qui fut on le sait le moyen-âge d’une partie du Maghreb (Algérie, Tunisie, l’équivalent de nos années soixante et soixante dix ici…). L’éditrice Siham Ben Sedrine raconte comment elle a été incarcérée à sa descente d’avion pour avoir fait une déclaration sur la situation politique de son pays à une chaîne londonienne…D’autres ont subi la terreur policière du simple fait d’être la femme ou la fille d’un tel, militants haïs et craints par Ben Ali comme le  leader Hamma Hamami dirigeant  du POST et époux de Rhadia Nasraoui…

Alors si la Tunisie d’aujourd’hui peut s’enorgueillir d’être le fer de lance de la révolution arabe, cela n’est pas uniquement le fait de certains hommes qui cherchent  aujourd’hui à détourner le fleuve et le jeter dans les méandres de l’obscurantisme et de la réaction. Les femmes n’ont pas fait ça pour ça. Utiliser les croyances religieuses pour confisquer le pouvoir politique relève d’une forme de lâcheté. On ne peut aimer le bien des gens en profitant de leur misère intellectuelle. Les vraies révolutions dans le monde ont été le fait des Lumière, et l’obscurantisme profite tôt ou tard à la réaction.

Sonia Chamkhi a utilisé le procédé de l’entretien libre avec des militantes représentatives de différentes sensibilités politiques. Le film a été réalisé pendant et après les élections de l’Assemblée constituante en donnant la parole justement à des femmes candidates à ces élections. Mais au-delà du propos directement politique, c’est un témoignage sociologique et humain, qui restitue des visages et regards avec une grande force de conviction et une tendresse toute féminine. Quiconque a traversé le Maghreb dans le temps et l’espace, en ces années tumultueuses de l’après  indépendance ne manquera pas d’y reconnaître une vérité profonde, une « inscription vraie » comme aimait dire Serge Daney. « Nous aimons le pays comme nul autre ne l’aime », disent ces femmes dans une chanson émouvante qui aurait pu continuer ainsi : « n’essayez surtout pas de confisquer notre révolution, car nous continuerons la lutte comme sous Ben Ali…Nous n’avons aucune garantie mais nous avons l’espoir ! »

 

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